Se tatouer est intéressant pour beaucoup de monde et commun dans pleins de cultures. Notre corps nous appartient et il est « le plus proche » de nous. C’est le corps qui nous présente aux autres et il est ce que les gens perçoivent de nous avant de commencer la longue procédure de se connaitre. Si l’on imagine que l’être humain est un livre, le corps est donc la page de couverture qui introduit le livre entier et le tatouage est le titre du livre. 

Le titre pourra donner une idée du contenu du livre mais c’est le corps qui révèle l’image initiale de notre identité, statut, pouvoir etc. Il y a des caractéristiques qui sont plutôt faciles à observer par exemple, être grand, petit, handicapé, fort, fragile etc. et il y a celles qui sont difficiles à connaître comme le statut social ou la profession notamment s’il n’y a pas de signes liés à ce statut.

Nous avons de nos jours plein de ressources et de médias pour nous façonner l’image d’une personne, 

connaître ses caractéristiques et accéder même à sa psyché sans le voir ou le rencontrer. Cela n’était pas le cas dans l’antiquité où il n’y avait pas les moyens d’expression et de communication d’aujourd’hui. 

Si on pense au temps de Ötzi, l’homme momifié naturellement après sa mort vers 3300 av.J.-C. et qui avait 61 tatouages sur son corps, on doit prendre en considération que des livres n’existaient pas à ce moment et que le seul tableau sur lequel cet homme pouvait écrire, s’identifier ou envoyer un message était son propre corps. En tous cas, l’usage du corps humain comme tableau d’affichage, selon les recherches de Martin Dinter du King’s College de Londres (et pour que la personne tatouée soit identifiée) est très observable dans la littérature autour le tatouage.  Les chercheurs qui s’intéressaient au tatouage ont déjà essayé d’interpréter plusieurs tatouages et ont proposé pas mal de significations.

La classification des interprétations et des significations Nous pouvons classifier les interprétations proposées par les chercheurs en cinq catégories selon la fonction du tatouage car nous avons des tatouages stigmatisants, des tatouages décoratifs, des marqueurs de l’identité, du pouvoir ou du statut social, et ceux qui incarnent la fierté ou l’appartenance religieuse et finalement ceux qui sont protecteurs de la féminité ou qui la perfectionnent. 

 

Les tatouages stigmatisants

Si je commence avec la première catégorie de tatouages stigmatisants qui est bien attestée et manifestée dans la littérature écrite, je peux mentionner que les captifs juifs ont été tatoués par les Cananéens selon Moïse Maïmonide. Les tatouages en général ont des connotations négatives liées à l’esclavage chez les juifs et cela explique davantage l’interdiction de se tatouer en judaïsme. Les chrétiens aussi ont été stigmatisés par un tatouage de croix pendant le règne de l’empereur Valérien (257-260). A part la stigmatisation religieuse effectuée par un tatouage indésirable, selon l’écrivain romain Plautus, les voleurs ont été tatoués par les lettres FVR et les calomniateurs ont été tatoués avec la lettre K pour leurs fausses accusations selon Cicero. 

 

Les tatouages décoratifs

Les Thraces, des tribus qui vivaient dans les Balkans, ornementaient leurs femmes avec des tatouages et ceux-ci  ne comportaient pas de connotations négatives selon l’auteur Dissoi Logoi du V e siècle av.J.-C. Hérodote ajoute aussi que les tatouages thraces indiquaient que la personne tatouée avaient des ancêtres nobles. Par conséquent, c’est le fait de n’être pas tatoué qui pourrait être vu comme stigmatisant chez les Thraces.  Les femmes thraces tatouées ainsi que leurs tatouages bien élaborés et diffusés sur leurs bras, jambes, cous etc.  figurent sur la céramique grecque à figures rouges au V e siècle av.J.-C. Le tatouage pourrait être vu comme stigmatisant d’un point de vue grec, mais sa fonction décorative et esthétique a bien capté l’attention et l’intérêt de leurs artistes et ils l’ont reflété et manifesté dans leur art. 

 

Femme thrace attaquant Orphée. Date : classique, 475-425 avant notre ère.

Origine : Italie du Sud. Collection actuelle : Munich. Antikensammlung inv. numéro 2330

 

Marqueurs de l’identité, pouvoir, statut et rôle

Les tatouages qui figurent sur la momie appelée la Princesse de l’Altaï ou Demoiselle de glace (une momie d’une femme du ve siècle av. J.-C., découverte en 1993) sont très élaborés et semi-modernes et pourront être vus comme décoratifs. Cependant, les chercheurs savent que les pazyryks, la tribu de la femme décidée et momifiée, ont utilisé les tatouages pour que la personne soit identifiée dans l’autre vie selon leur croyance. De plus, il y a des preuves archéologiques à part les tatouages qui indiquent que cette femme avait un haut statut social dans sa communauté.

Le tatouage de taureau sauvage qui figure sur la momie du Gebelein Man (EA32751), une momie d’un homme tatoué et une des six momies prédynastiques de Gebelein, est interprété par les chercheurs comme un symbole de la virilité.  Un des tatouages de  la femme de Gebelein (EA32752), celui qui ressemble à la lettre Г, Gué, de l’alphabet cyrillique a été interprété également comme un symbole de pouvoir et de statut. Cette momie a d’autres tatouages qui ressemblent à la lettre S et qui se trouvent dans un groupe de quatre. Ces tatouages ont été interprétés initialement comme des oiseaux en vol, mais les chercheurs pensent aujourd’hui que ses tatouages de quatre S, ainsi que le tatouage qui ressemble à la lettre Г sont liés probablement à une certaine activité et un rôle rituelle faite par la personne tatouée. 

 

Un des tatouages de la femme Gebelein

 

La fierté ou l’appartenance religieuse

Les tatouages volontaires montrant une fierté ou une appartenance religieuse sont, au contraire des tatouages modernes, rares dans l’antiquité selon les recherches archéologiques. Le tatouage de la momie soudanaise faisant allusion à l’archange Michel pourrait être classifié dans cette catégorie de fierté ou d’appartenance religieuse. Il y a cependant plus de preuves et d’indices pour classer ce tatouage dans la catégorie des motifs protecteurs étant donné que la momie est celle d’une femme et que le tatouage a été trouvé à l’intérieur de sa cuisse, probablement pour la protéger contre le viol.    

 

Les tatouages protecteurs (ou médicaux):

Des « yeux wadjet», un puissant symbole divin éloignant le mal, apparaît parmi les tatouages ​​de la momie du site de Deir al Madina en Égypte, une momie d’une femme ayant 30 tatouages qui a été momifiée naturellement. Les autres tatouages prennent la forme de fleurs de lotus, de vaches, de babouins etc. Les parties du corps de la femme sur lesquelles ces tatouages se trouvent sont les hanches, les bras ou encore l’estomac d’où l’interprétation par beaucoup de chercheurs qu’ils avaient comme fonction de faciliter accouchement. Ces chercheurs pensent aussi que ses tatouages suggèrent que la femme momifiée était une figure importante qui aurait pu avoir des pouvoirs religieux.

 


La momie de Deir al Madina

 

Les interprétations autour de ces tatouages sont bien sûr sujettes à caution. Ceux-ci peuvent avoir différentes significations en fonction des époques et des civilisations. Il n’existe à ce jour pas de paradigme pour interpréter les tatouages. Il serait intéressant dans de futures recherches d’approfondir la question pour savoir s’il existe une langue visuelle des tatouages propres à certaines cultures de l’Antiquité.  

Sources:

Barbanera, M., Boschung, D., Shapiro, A., & Wascheck, F. (2015). Bodies in Transition: Dissolving the Boundaries of Embodied Knowledge.

Dinter, M. T., & Khoo, A. (2018). Wounds prepared with iron: tattoos in antiquity. Omnibus, 25(1), 25-27.

Renée Friedman, Daniel Antoine, Sahra Talamo, Paula J. Reimer, John H. Taylor, Barbara Wills, Marcello A. Mannino, Natural mummies from Predynastic Egypt reveal the world’s earliest figural tattoos, Journal of Archaeological Science,Volume 92, 2018, Pages 116-125,

ISSN 0305-4403, https://doi.org/10.1016/j.jas.2018.02.002.

 

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