Le NIFFF

Carlos Montserrat

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Pierre-Yves Walder, Le NIFFF en est à sa 22ème édition avec une flamme qui ne faiblit pas. Du petit groupe de passionnés de films fantastiques composé d’Olivier Müller, Anaïs Emery ou encore parmi d’autres Pierre-Yves Jeanneret qui ont créé le NIFFF au début des années 2000 aux plus de 50’000 festivaliers et plus de 120 films d’aujourd’hui, quelle évolution! Comment expliquez-vous de votre côté ce succès du festival?

Le genre fantastique s’est extrêmement démocratisé au début des années 2000 et le festival a profité de cette popularité auprès des créateurs et du public. Le NIFFF a aussi été l’un des premiers festivals à programmer du cinéma d’Asie dans ses genres les plus populaires, qui est très prolifique et a de nombreux fans. Les programmateurs ont proposé, en salle sur grand écran, des films peu visibles à l’époque. Manifestement, cette approche a plu aux fans qui se sont retrouvés dans la programmation.

Il y aussi une qualité propre au cinéma fantastique et à l’imaginaire, c’est d’être sans limite. Personnellement, je n’aime pas les limites et visiblement je ne suis pas le seul. D’une certaine manière, je crois que le fantastique permet de se sentir libre.

Entre 1973 et 1993, il y a eu le festival international du film fantastique d’Avoriaz. Aujourd’hui, c’est à Neuchâtel que se retrouvent les professionnels et les amateurs du genre pour célébrer le fantastique, le cadre joue-t-il un rôle d’après vous?

Oui, je le pense. Neuchâtel avec ses rues anciennes et son charme médiéval se prête bien à ce festival. Dans le cadre du label NIFFF Invasion, nous essayons d’ailleurs d’investir la ville en offrant gratuitement des performances artistiques, des activités interactives et des projections à l’Open Air à la population. L’idée pour nous est de sensibiliser petits et grands au genre fantastique.

La fréquentation également ne faiblit pas, et ce depuis plus de 20 ans. C’est même tout le contraire avec plus de 50’000 festivaliers l’année passée! Que vient chercher d’après vous le public dans votre festival et dans les films fantastiques ou de genre en particulier?

C’est toujours difficile d’analyser le succès et l’échec d’un festival mais je pense que la réussite d’une telle manifestation est liée à une programmation exigeante et aux découvertes qui peuvent s’y faire. Il y a aussi une volonté chez nous d’offrir une vraie proximité entre les créateurs et le public avec des conférences de personnalités connues, la présence de réalisateurs lors de projections ou encore des forums comme «Imagine the Future» où des professionnels du cinéma et de la création au sens plus large peuvent échanger sur leur métier entre eux et avec des non professionnels.

Et l’attrait du fantastique auprès des cinéphiles, à quoi l’attribuez-vous? 

Selon moi, le public recherche entre autres sensations un effet cathartique à travers ce qui se passe à l’écran. Les films fantastiques sont une sorte de défouloir des peurs, des angoisses personnelles et de puissants libérateurs d’émotions fortes. Ils matérialisent ce que les spectateurs ont dans la tête. L’art sert à libérer et le fantastique s’y prête bien. Le fantastique est un genre infini et protéiforme. Il y a aussi une relève très importante de jeunes créateurs.

Votre public est également très varié. On croise pendant le festival autant des fans endurcis de films d’horreur que des néophytes du genre, voire même des enfants. Vous organisez d’ailleurs des projections de films fantastiques spéciales pour ces derniers … Vous visez vraiment tous les publics? 

Oui absolument et c’est une volonté de notre part. Avec les films d’horreur par exemple, certains s’amuseront à se faire peur. C’est la recherche du frisson sur grand écran, tout en restant dans la sécurité d’une salle de cinéma. Mais tout le monde n’aime pas cela non plus, et le cinéma fantastique ne se limite pas à cela. C’est pourquoi nous avons décidé cette année de proposer dans le programme une sélection d’une quinzaine de films intitulée «frissons sans frousse».

À ce propos, vous organisez des projections de films fantastiques en collaboration avec la lanterne magique et les écoles du Canton, que voulez-vous apporter aux plus jeunes?

Pour ma part, je trouve important de stimuler l’imaginaire, la lecture et la création artistique chez les enfants, et autant les dessins animés que le cinéma sont de bons médias pour le faire. Nous proposons donc aux plus jeunes différents ateliers d’animations, de réalisations de courts métrages ainsi que des projections accompagnées de discussions avec des adultes. Finalement, nous touchons un large public, allant des élèves des écoles primaires à ceux des Hautes écoles comme la HEAD à Genève.

Neuchâtel se distingue par sa capacité à accueillir de grands artistes. On pense à Georges Romero, le père des films de zombies, Ray Harryhausen, le roi de la fabrication de figurines d’animation, la star planétaire, réalisateur de la Chose, John Carpenter, Chris Carter, le père des X-files ou encore Georges R.R. Martin, le créateur de Game of Thrones. Quel est le secret du NIFFF? Comment réussissez-vous à faire venir de telles sommités?

Il y a plusieurs manières de faire venir des personnalités de renom à Neuchâtel. Nous contactons leurs agents ou passons par les relations que nous avons tissées à travers le monde au fil des années. Nos invités voient aussi la liste des personnalités qui sont passés par Neuchâtel et cela les encourage à venir chez nous. En fait, c’est beaucoup une question de confiance bâtie au fil des années avec les créateurs. S’ils entendent parler du festival en bien par ceux que nous avons accueillis depuis notre création, ils auront confiance à leur tour pour accepter nos invitations.

Mais tout de même, avoir accueilli, par exemple, en 2006 Georges Romero le père des films de zombies à Neuchâtel, c’est carrément mythique!

Effectivement ! Mais prenez Georges Romero justement. Longtemps ses films de zombie ont été considérés comme faisant partie d’un genre mineur par le monde du cinéma. Aujourd’hui, bien sûr, ce n’est plus le cas, et les anciens créateurs sont particulièrement touchés de voir un jeune public leur rendre hommage dans le cadre de notre festival.

Quelques mots sur le jury du festival cette année?

Il y a tout d’abord Josiane Balasko, la présidente. Nous avons découvert qu’elle était une passionnée de science-fiction et auteure d’histoires fantastiques, alors que le public la connaît surtout pour ses rôles dans des comédies. Nous sommes aussi fiers d’accueillir John McTiernan, le pape du cinéma d’action, qui a réalisé des films cultes, comme Predator et Die Hard. Tous deux donneront des conférences publiques qui promettent déjà des temps forts du festival. Le jury est encore composé du génial créateur de romans graphiques Charles Burns, du cinéaste français Olivier Babinet et de Veronika Franz, réalisatrice de The Lodge présenté il y a quelques années au NIFFF.

Quelques mots sur vous maintenant. Qu’est-ce qui vous a décidé à postuler pour devenir directeur du NIFFF?

J’ai toujours été un grand cinéphile. Enfant déjà, mes films préférés étaient E.T et le Retour du Jedi de la saga Star Wars. Pour moi, le fantastique permet de faire des découvertes, d’explorer d’autres imaginaires et de se sentir libre.

J’ai débuté ma collaboration avec le NIFFF en 2008 tout d’abord dans les relations presse puis comme programmateur au côté d’Anaïs Emery, et lorsqu’elle a annoncé son départ, je me suis lancé dans la course pour devenir directeur artistique.

Et puis, j’étais heureux de revenir dans ma ville d’origine, Neuchâtel, après avoir notamment travaillé pour le Festival de Locarno dans la communication et à Pro Helvetia à Zürich. 

Quels axes de programmation avez-vous envie de développer pour le festival?

J’ai envie de continuer de surprendre le public et de lui faire découvrir de nouvelles choses. L’année dernière, pour ma première édition du festival en tant que directeur, nous avons invité Joyce Carol Oates, l’une des plus grandes écrivaines américaines vivantes actuellement ayant écrit de nombreux textes gothiques et fantastiques. Nous avions aussi proposé la rétrospéctive SCREAM QUEER qui proposait d’explorer les représentations des identités LGBTQIA+ dans le cinéma de genre. Ainsi, dans le film Psychose de Hitchcock par exemple, le protagoniste principal est clairement queer mais pas défini comme tel. Dans Hell Bent, on retrouve un tueur en série s’en prenant à de jeunes hommes homosexuels lors d’une fête, inversant les codes du genre. Cette année, nous proposons la rétrospective FEMALE TROUBLE, deuxième volet de SCREAM QUEER, qui explore les archétypes féminins dans la cinéma fantastique. Des nasty women du début du 20ème siècle aux héroïnes de female gothic (Rebecca, toujours d’Alfred Hitchcock) en passant par les combattantes intergalactiques (Aliens, James Cameron, 1986), ces incarnations ont souvent un point commun: celui de bousculer les normes dictées par la société ou de prendre des libertés dans les interstices d’une structure sociale bien ordonnée. Des histoires d’émancipation au sein d’un genre qui n’a pas toujours été “bon élève” quant aux représentations féminines. 

Justement en parlant des figures féminines, le NIFFF thématise cette année la question de l’intelligence artificielle avec Diane, une IA féminine, pouvez-vous nous en dire quelques mots?

En réalité, l’IA est depuis toujours un thème du cinéma fantastique, mais c’est plus que jamais un thème d’actualité et il nous a paru important d’aborder le sujet dans le cadre de notre festival. Et comme nous donnons cette année une place importante à des figures féminines qui ne se plient pas aux normes de la société dans le cinéma de genre, notre intelligence artificielle a elle aussi reçu un visage féminin. D.IA.NE est l’abréviation de Dispositif d’Intelligence Artificielle Neuchâtelois et elle accompagnera les festivaliers tout au long de la manifestation.

N’oublions pas, le NIFFF décerne aussi chaque année des prix, qu’apporte d’après vous cette dimension de compétition au NIFFF, au public et aux artistes qui présentent leurs œuvres?

Les prix que nous décernons sont une manière pour nous d’encourager les auteurs de films fantastiques. Le prix, doté de 10’000 francs, peut aider financièrement des réalisateurs à mener à bien leurs projets. La connaissance, le prestige, la reconnaissance des pairs est aussi importante.

De manière générale, nous souhaitons soutenir les créateurs, et pour cela le NIFFF accueillera cette année cinq artistes en résidence à la Villa des Rochettes, qui recevront la visite de l’illustrateur du Seigneur des anneaux en personne, John Howe. Le NIFFF participera aussi à l’animation du futur espace dédié au fantastique dans l’ancienne Tour des prisons de Neuchâtel. Là aussi, nous accueillerons en résidence des Concept Artists qui font du World building, en français de la construction de monde imaginaire, dès 2025.

En conclusion, pouvez-vous nous donnez quelques mots clés qui définissent le NIFFF selon vous?

Je dirais… Public, accessibilité, convivialité, exigence de la programmation et découverte. 

Interview réalisée par: Carlos Montserrat