L’expansion Viking de l’Angleterre à la Sicile

Ils sont ainsi à la fois commerçants, pillards, pirates ou encore guerriers. Ils sont donc, pour la plupart des nomades appartenant au «phénomène viking», caractérisé par des raids en style aller-retour, style de vie à distinguer du «phénomène normand», caractérisé par la présence constante sur un territoire et la fondation de véritables royaumes, duchés ou comtés. Comme c’est souvent le cas en histoire, les deux phénomènes sont liés et superposés, ce qui crée parfois un peu de confusion.

Conventionnellement on fait débuter le phénomène viking le 8 juin 793, quand le monastère de Lindisfarne (une petite île en Northumbrie, au Nord-Est de l’Angleterre) est pillé par des hommes venus de Scandinavie par la mer. Ce fait, qui perturbe profondément les esprits des gens de l’époque, marque le début de l’âge des Vikings en Europe centre-occidental, qui durera pendant environ deux siècles et demi. Cette période Viking prend fin le 14 octobre 1066, jour de la bataille de Hastings, où les Anglais de Harold de Wessex sont écrasés par les forces de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie. Suite à cette bataille, le jour de Noël de la même année, Guillaume est nommé officiellement «Roi d’Angleterre». Les Vikings troquent ainsi définitivement leur passé de guerrier pillard, nomade et combattant pour régner sur un royaume. Entre ces deux dates, il y a un autre événement majeur dont on ne peut pas se passer: la fondation, en 911, du Duché de Normandie, suite au pacte de Saint-Clair-sur-Epte contraint entre le chef viking Rollon (Hrо́lfr en langue Scandinave) et le roi de France Charles III dit «le Simple». Ce fait est important car soit la conquête de l’Angleterre en 1066, soit l’établissement en Italie du Sud et Sicile à partir de 999 se font par des gens venus de Normandie, et non pas directement de Scandinavie.

Une fois posé le cadre historique de base, une question vient alors à l’esprit: quelles sont les motivations qui ont poussé ces hommes du Nord tout d’abord à s’aventurer, puis à s’installer à des milliers de kms en dehors de leur patrie? Bien sûr, celles-ci sont diverses. Tout d’abord, il y des raisons géopolitiques: la Scandinavie est une région froide, rocheuse, boisée et donc non adaptée à l’agriculture à large échelle. Dans un tel environnement, le peu de terres à disposition doit être géré et exploité au mieux, ce qui résulte en l’essor, à partir du VI siècle, de différentes «principautés», contrôlées par une puissante aristocratie guerrière qui détient le pouvoir. Ce pouvoir se base justement sur la possession de domaines fonciers, sur la position sociale et sur la fonction religieuse. Pour exercer leur pouvoir et leurs fonctions magico-religieuses, ces chefs ont besoin d’objets de luxe comme des métaux précieux ou de la verrerie. Ceux-ci sont pour la plupart importés ce qui leur donne une forte valeur symbolique. Cela favorise un florissant commerce entre l’Europe et la Scandinavie et intègre cette dernière à la sphère économique européenne déjà au moins deux siècles avant l’époque viking proprement dite.

Un autre grand facteur de l’expansion viking est à chercher dans le commerce. Vers la fin du VII siècle, les souverains mérovingiens et anglo-saxons, favorisent l’essor de comptoirs marchands sur leurs territoires pour mieux gérer les flux de marchands et marchandises. Quelques années plus tard (au début du VIII siècle), les grands princes scandinaves les suivent et mettent sur pied eux-aussi des comptoirs où les marchands étrangers peuvent se procurer les denrées issues de leurs territoires, en profitant de leur position stratégique entre la mer du Nord et la mer Baltique. 

Cela débouche là encore sur un florissant commerce de biens de luxe (or, verrerie, bijouterie) échangés contre des biens provenant du Nord (ambre, ivoire, fourrures). Toutefois, cet échange de biens, et donc d’enrichissement, dans un contexte comme celui qu’on vient de décrire, crée forcément des inégalités et des rivalités entre familles. Celles-ci aboutissent à des querelles entre familles, actes de piraterie (les pirates suivent justement les routes commerciales) et à la volonté de plusieurs hommes libres de s’aventurer en quête de gloire, richesse et d’une situation socio-économique plus favorable pour eux et leurs familles.

Autre facteur déterminant, les progrès techniques:  les marins scandinaves adoptent, au cours du VIII siècle, la navigation à voile. Cette nouveauté augmente considérablement leur rayon d’action, améliore la manœuvrabilité de leurs navires et leur permet aussi de remonter facilement les cours d’eau. Ce dernier aspect est central pour comprendre le phénomène viking, car ceux-ci peuvent dès lors pénétrer à l’intérieur des terres pour ensuite repartir très rapidement une fois le raid terminé. Ainsi, même si la navigation à voile ne se substitue pas totalement à celle à rame, elle est un atout précieux puisqu’elle permet de préserver beaucoup d’énergies précieuses.

Enfin, il y a des facteurs sociaux, religieux et militaires. Il faut se rappeler que le Moyen-Age, contrairement à ce que l’on pourrait croire, est une époque en constante évolution où les gens, pour des raisons très variées, voyagent beaucoup. Les princes et les rois voyagent pour assurer le contrôle de leurs territoires, pour sceller des alliances et bien sûr pour faire la guerre. À leur suite, il y a toute une série de grands aristocrates, de hauts dignitaires ecclésiastiques et d’hommes de pouvoir, qui forment la cour. Le clergé se déplace pour visiter les diocèses, pour participer aux différents conciles et pour prêcher aux masses, mais aussi en tant que missionnaires sur les terres qui doivent encore se convertir au christianisme. C’est d’ailleurs le cas de la Scandinavie, qui commence à être christianisée depuis le Danemark au cours du VIII siècle justement qui est de plus en plus intégré à l’Occident chrétien.

En résumé, le développement des voies commerciales coïncide avec l’essor des marchands, homme d’affaires, individus lambda en quête de richesse et les phénomènes du brigandage et de la piraterie, qui se développent parallèlement aux flux commerciaux. C’est d’ailleurs le cas des premiers raids vikings en Angleterre, qu’on peut comparer à des véritables actes de piraterie.

Autre forme de voyage très en vogue à l’époque, qui est liée à la religion et qui fait bouger beaucoup de gens de tous âges et origines sociales, le pèlerinage. Comme on le sait, le pèlerinage se fait à pied et pauvrement, ce qui oblige les pèlerins à rentrer en contact avec les gens des pays qu’ils visitent. De fait, beaucoup de pèlerins partent et ne rentrent jamais chez eux, en se refaisant une vie ailleurs, ou bien retournent chez eux avec des richesses et le mythe d’une terre promise où ils ont pu changer leur propre vie et celle de leurs familles. C’est ce qui s’est produit en Sicile et dans l’Italie du Sud. Selon les sources que nous avons à notre disposition, ce sont une quarantaine de pèlerins normands (donc venus de Normandie) de retour de Jérusalem qui, en 999, ″libèrent″ la ville de Salerne d’une petite armée arabe venue de Sicile pour exiger un tribut de la cité, en marquant le début du phénomène viking, et puis normand, en Italie du Sud et Sicile.

Enfin, il y a les guerres, omniprésentes dans l’histoire de l’humanité. Les armées de l’époque sont composées de milliers de gens (car il n’y a pas seulement les guerriers, mais des diplomates, des médecins, des cuisiniers, des responsables de logistique,…) et des combattants, parmi lesquels figurent aussi, bien évidemment, des mercenaires. Entre eux, les chevaliers Normands sont les plus réputés et voyagent donc beaucoup, en servant de nombreux princes tout en s’enrichissant considérablement au passage. Certains d’entre eux deviennent vassaux des princes pour lesquels ils combattent et reçoivent donc des terres, ce qui les pousse à s’établir définitivement hors de Scandinavie et/ou de Normandie. C’est le cas des premiers Normands en Italie du Sud, qui sont d’abord des mercenaires des princes lombards, puis des vassaux des premiers seigneurs normands établis sur place.

En conclusion de cette première partie, on a pu voir comment le phénomène viking en «Occident», qui s’étale sur environ trois siècles, est tout aussi captivant que complexe. Il touche en fait plusieurs zones géographiques et plusieurs populations du continent européen en relativement peu de temps. Également, on peut affirmer qu’autant les Vikings ont marqué leur époque, autant ils continuent de le faire à nos jours, en arrêtant jamais de nous fasciner.

Pour un regard plus approfondi sur l’installation des Vikings en Normandie, ainsi que sur la conquête de l’Angleterre et de l’Italie du Sud, rendez-vous dans les prochains numéros de Découverte Magazine. Une bonne lecture à tout le monde!

Bibliographie :

Barthélemy Pierre, Les Vikings.

Paris: Éditions Albin Michel, 1988

Maillefer Jean-Marie, Les Vikings. Luçon: Éditions Gisserot, 2015

Dossiers, d’archéologie, «Les Vikings en Méditerranée aux XI et XII siècles», n.299 Déc 04-Jan 05, Quétigny: Éditions Faton

Boyer Régis, Les Vikings: histoire, mythes, dictionnaire. 

Paris: R. Laffont, 2011

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