Tilo Frey

César Evora

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Quelques éléments biographiques

Tilo Frey naît le 2 mai 1923 à Maroua (Cameroun) de père suisse et de mère camerounaise peule. Atteinte d’un cancer, elle décède le 27 juin 2008 à Neuchâtel. Elle est la première femme suisse d’origine africaine à avoir occupé des postes de professeur et de directrice de l’école professionnelle des jeunes filles dans le canton de Neuchâtel.

Elle est aussi une pionnière vu qu’à cette époque, la juste et légitime place des femmes dans le monde du travail et dans la société suisse n’était qu’un simple mirage par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui dans le paysage social et politique de l’Helvétie moderne.

Neuchâtel; le métissage est une passerelle reliant cultures et horizons différents…

En 1964, elle est membre du Parti radical-démocratique, est élue successivement au législatif de la ville de Neuchâtel, puis au grand conseil du canton de Neuchâtel en 1969.

Ainsi, nous voilà plongés dans un parcours de vie atypique que celui d’une Neuchâteloise d’origine camerounaise. «Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie.» André Malraux.

Nul ne peut secouer un cocotier tout seul

Femme de caractère, de persévérance et qui a osé «bousculer» l’échiquier politique du canton. Ainsi, petit à petit «l’oiseau» fit son nid en entrant dans le cercle «fermé» et «austère» de la politique neuchâteloise d’une époque bien particulière où l’élite intellectuelle était à prédominance masculine.

En 1964, elle est membre du Parti radical-démocratique, est élue successivement au législatif de la ville de Neuchâtel, puis au grand conseil du canton de Neuchâtel en 1969.

Elle se place ensuite au plus haut rang de la représentation cantonale, en devenant en 1971 l’une des premières femmes conseillère nationale participant ainsi à l’ouverture au domaine politico-social, à l’intégration et à l’émancipation des femmes d’origines diverses.

La voie venait d’être ouverte à l’édification d’une future politique migratoire et d’intégration dans le canton de Neuchâtel et… en Suisse. Et comme dit l’adage africain: «Nul ne peut secouer un cocotier tout seul.»

Que de barrières et d’obstacles renversés

Depuis lors, et en partie grâce à Tilo Frey, de grandes avancées et changements furent opérés en Suisse, dont la loi contre le racisme, l’égalité salariale ainsi que le droit de vote accordé aux femmes en 1971. Le visage politique local et fédéral venait de changer! Faisant de Neuchâtel l’un des cantons pionniers en la matière. Rien que pour cela… chapeau bas et respect Madame!

Un symbole authentique

Force est de constater, que grâce à sa belle personnalité politique et à son engagement transparent, elle sut apporter une contribution active et notable aux droits politiques, à l’émancipation des femmes et à leur place légitime et valorisante dans la vie politique et sociale de la Suisse. Ce symbole authentique dans la vie des femmes suisses mérite tout notre respect et valorisation.

Reconnaissance et valorisation En 2019, la Place Louis Agassiz à Neuchâtel, fut rebaptisée Espace Tilo Frey, en hommage à une femme suisse au parcours méritoire et exceptionnel!

En effet, que dire d’une si belle ascension humaine, sociale et politique, tant sur le plan cantonal qu’au niveau des instances gouvernementales fédérales.

Ad aeternam;

Que cet illustre personnage choisi par ses pairs, s’ancre dans la durée «ad aeternam!» Au jardin des souvenirs selon ses dernières volontés elle dort pour l’éternité.

Merci Madame Tilo Frey et RIP.

Interview et genèse d’une belle amitié

Françoise Aebersold a rencontré Tilo Frey le 5 mai 1979. De fil en aiguille une belle amitié naît entre ces deux voisines. Celle-ci va durer jusqu’au dernier jour de cette dernière décédée à l’âge de 85 ans à Neuchâtel.

CE: «Bonjour Madame Aebersold, s’il vous plaît parlez-moi du caractère et de la personnalité de votre amie feu Tilo Frey?»

FA: «Elle avait de la dignité et même dans la mort! Elle était fière au sens propre et figuré… Et d’une élégance qui l’a caractérisé toute sa vie! De son appartenance maternelle à l’ethnie peule, elle a hérité d’une noblesse à l’état pur qu’elle défendait bec et ongle!»

CE: «Quels étaient vos rapports amicaux, loisirs et sorties avec Tilo Frey?»

FA: «Elle était très fidèle en amitié. Elle avait un cercle limité qui se composait d’amis fidèles et appréciait particulièrement ses séjours en Provence où nous étions également voisines.»

CE: «Pourriez-vous me dire quelques mots sur sa vie de famille?»

FA: «Tilo avait choisi d’être célibataire. Elle ne voulait pas faire subir à un enfant ce qu’elle avait elle-même vécu dans sa chair! A l’époque elle se faisait appeler la petite négresse du canton de Neuchâtel! Elle avait prouvé qu’être métisse ne voulait pas dire échec! Elle a ainsi pris une revanche sur la vie et sur ceux qui ne croyaient pas en elle!»

CE: «Entretenait-elle des contacts étroits avec les membres de sa famille en Suisse et au Cameroun?» 

FA: «Elle n’avait aucun contact avec sa famille paternelle suisse. Ce n’est qu’à l’âge de 50 ans qu’elle partit au Cameroun pour faire la connaissance de sa maman. Quelques années plus tard, elle a appris la mort de cette dernière.»

CE: «Que pensez-vous de son ascension au plus haut rang de l’échiquier politique cantonal et fédéral?»

FA: «Ses priorités étaient l’intégrité, le travail et l’acharnement sans relâche qui faisaient partie de ses exigences avec les autres et avec elle-même. Tout le mérite lui revient et c’est tout à son honneur.»

CE: «Avez-vous fêté ensemble son ascension?»

FA: Non. Lorsque j’ai fait sa connaissance, elle avait déjà quitté la politique pour retourner à l’enseignement des branches de dactylographie et de sténographie à l’école professionnelle commerciale.»

CE: «Son combat politique a contribué à la naissance de la loi contre le racisme, à l’égalité salariale et au droit de vote accordé aux femmes. D’après vous, son engagement actif a-t-il fait avancer la cause, l’émancipation et la reconnaissance de ses congénères?»

FA: «C’est en partie vrai puisque que c’est grâce au peuple Suisse qu’elle a accédé à des responsabilités politiques de haut niveau. Elle est arrivée au bon endroit et au bon moment!»

CE: «En 2019, étiez-vous présente à la Place Louis Agassiz qui porte désormais le nom d’Espace Tilo Frey?»

FA: «Non! Je n’étais pas présente, j’étais à l’étranger!»

CE: «D’après vous cet hommage est arrivé tardivement?» 

FA: «Elle ne cherchait pas à être starisée. Être sous les feux de la rampe ne l’aurait pas du tout intéressée, surtout à l’idée d’aller mettre son nom à la place d’un savant.»

CE: «Aurait-t-elle accepté cette reconnaissance de la part des autorités politiques neuchâteloises?»

FA: «Elle n’aurait pas aimé ni accepté le changement du nom Louis Agassiz. Une reconnaissance instrumentalisée qui ne fait pas avancer la cause noire. Toutefois je pense qu’elle mérite cette reconnaissance.

CE: A-t-elle eu des funérailles dignes de son rang? Et si non pourquoi?»

FA: «Oui! Ce jour-là, l’enceinte de la collégiale était remplie des représentants du gouvernement cantonal et fédéral venus rendre un dernier hommage à la petite négresse qui fut l’une de nos premières conseillères nationales.»

CE: «Merci, Madame Aebersold, pour votre disponibilité et pour votre précieuse collaboration.»

Interview réalisée par:

César Evora au domicile de Madame Françoise Aebersold le 25 janvier 2022.