La naissance de l’empire Disney
1928, Californie. Un jeune illinoisais du nom de Walter Elias Disney vient de perdre les droits d’Oswald le lapin chanceux, un personnage qui lui avait offert un début de notoriété dans le domaine émergeant de l’animation.
Et comme un problème ne vient jamais seul, il a également perdu toute son équipe, rachetée à coups de contrats alléchants distribués par les studios Universal via Winkler, les détenteurs du lapin pas si chanceux.
Toute son équipe? Non.
Walter peut encore compter sur le soutien d’un petit groupe d’irréductibles composé entre autres de sa famille et son meilleur ami et animateur principal, Ub Iwerks.
Après la perte d’Oswald, Walt et son petit clan eurent des discussions sur la création d’un personnage vedette pour leur tout nouveau studio.
L’idée d’une souris est arrivée par pragmatisme. C’est original (Jerry et Speedy ne sont pas encore nés) et facile à distinguer. Deux oreilles bien rondes, parfait.
Car oui, nous sommes encore dans l’ère du noir et blanc et il faut impérativement que chaque nouvel héros monochrome soit facilement identifiable par le public.
Après avoir mis au point le design et finalisé le story-board, Ub se posa à son bureau et enchaîna les dessins avec une telle furie qu’il accoucha à lui tout seul du crayonné de «Plane Crazy» en seulement deux semaines.
Mickey Mouse venait de naître.
Si Walt avait nommé Ub comme premier animateur, ce n’était pas que par amitié.
Car oui, ce fils d’émigré néerlandais était non seulement talentueux mais aussi doté d’une efficacité redoutable. D’ailleurs, quand les deux amis travaillaient encore pour Winkler, l’animateur était plus payé que Walt qui était techniquement son patron.
Après «Plane Crazy», Mickey apparut dans «Gallopin’ Gaucho» puis enfin dans «Steamboat Willie», considéré à tort comme le premier cartoon de la petite souris tant le succès fut sans précédent.
Il faut dire qu’en plus de l’animation qui vieillit comme un Château Latour 1961, la jeune Walt Disney Company vient de réussir l’exploit de rajouter du son et de la musique.
Désormais, la machine Disney était lancée.
Et du côté d’Ub Iwerks, en plus de participer aux aventures sur pellicule et papier de Mickey Mouse, il affinait son art à travers les épisodes des Silly Symphonies1 et se fit très vite une belle et très convoitée réputation d’animateur capable de tracer des cercles parfaits d’un seul coup de crayon.
La grenouille et la souris
Malheureusement, très vite les gens qui n’étaient pas dans le domaine de l’animation ne virent que Walter.
En effet, bien qu’ayant été animateur au tout début de sa carrière, il s’était rapidement découvert un don d’homme d’affaires et pour le public lambda, c’était lui le seul et unique papa de son nouvel alter-ego, Mickey Mouse.
Il faut dire que l’illinoisais a très vite compris l’importance de la marque. Et Walt Disney est désormais en train de devenir une marque qu’il appose partout, quitte à ne plus vraiment créditer les gens travaillant pour lui.
Cette absence de plus en plus croissante de crédit couplée au manque de liberté causée par l’agrandissement de l’équipe ainsi que de la manie de Walt de s’immiscer dans le processus créatif firent brûler le torchon entre les deux amis.
Et en parallèle de tout cela, le premier et ex-distributeur de Disney, Pat Powers, multipliait les offres auprès de l’animateur, qui vit là l’occasion de créer son propre studio. En 1930, après une énième dispute, Ub quitta Disney et partit fonder Iwerks Studio.
Hélas, ce fut la douche froide tant la concurrence était rude et surtout très ironique; non content d’écouler ses nombreux produits dérivés comme des petits pains, Mickey Mouse était devenu un rouleau compresseur écrasant tout ses opposants.
Ub Iwerks tenta tant bien que mal de faire face avec sa nouvelle création, Flip la grenouille, mais tout ses efforts furent vains face au titan qu’il avait créé.
Et pour ne pas arranger les choses, cette période était celle de la Grande Dépression et les cartoons du studio Iwerks, très loufoques et parlant du quotidien avec un côté un peu grinçant, peinaient à trouver un public avide d’escapades légères.
Enfin, comme un dernier clou sur le cercueil, en 1934 le Code Hays2 passa et musela la créativité des animateurs (tout en rendant au passage Disney, qui misait de plus en plus sur des productions familiales, encore plus puissant).
De cette période, deux éléments non négligeables sont tout de même à retenir.
Très vite, la réputation d’Ub Iwerks avait attiré dans son studio de nombreux jeunes talents qui firent leurs premières armes sous sa direction, comme par exemple Chuck Jones, futur animateur vedette de Warner Bros.
Le deuxième élément découle de la liberté d’Ub, devenu son propre patron et qui put tenter de nouvelles expériences avec le matériel de son studio et troqua lentement sa casquette d’animateur pour celle d’ingénieur.
1Les Silly Symphonies sont une série de courts métrages d’animation sans personnages récurrents et produits entre 1929 et 1939.
2Le code Hays avait pour but de réguler le contenu de la production des films en donnant des recommandations sur ce qu’il est convenable ou pas de montrer à l’écran. Appliqué de façon stricte de 1934 à 1952, puis de façon de moins en moins rigoriste jusqu’en 1966, ce texte faisait suite à de nombreux scandales à Hollywood.
Le Géo Trouvetou des studios Disney
La reconversion d’Ub Iwerks en tant qu’ingénieur commença dans son studio lorsqu’il désossa le moteur d’une vieille Chevrolet pour en greffer les pièces sur une caméra (!!!) donnant ainsi un premier prototype de ce qui sera plus tard appelé la caméra multiplane, qui permettait de gérer la vitesse ainsi que le flou des décors arrière des cartoons.
En 1934 après la fin du contrat auprès de Pat Powers (non renouvelé pour cause de manque d’audience), Ub tenta de faire cavalier seul. Mais il sera contraint de mettre la clé sous la porte en 1936 et commencera à travailler chez Colombia Pictures.
Cependant, dès 1940 il fit son retour par la grande porte au sein des studios Disney.
En effet, l’empire aux longues oreilles commençait à vaciller car en cette période d’effort de guerre il y avait un besoin urgent de limiter les coûts en développant de nouvelles techniques d’animation.
Walt, qui avait eu vent de la reconversion de son ancien animateur, décida de lui offrir un poste de directeur photo ainsi qu’une liberté complète, ravivant ainsi l’amitié des deux hommes qui n’avaient en réalité jamais cessé de se respecter.
Dès son retour chez Disney, Ub Iwerks brilla en perfectionnant officiellement la caméra multiplane (récemment mise au point par Bill Garity) et créa une version tellement plus avancée qu’il est maintenant souvent crédité en temps que co-créateur de la multiplane.
Puis, jusqu’à la fin de la guerre il jongla avec brio entre les films de propagande américaine et les Disney plus classiques comme «les 3 Caballeros» mêlant animation et prises de vues réelles.
Après la guerre, Ub Iwerks continuera sur sa lancée et en parallèle de son travail de directeur photo, il se retrouva impliqué dans ce qui était vu à l’époque comme la nouvelle excentricité de son meilleur ami.
En effet, en 1955 un parc d’attraction allait ouvrir et toute idée pour l’améliorer était la bienvenue.
L’inventeur collabora à la naissance des animatroniques3 du parc grâce à un système audio permettant de les faire parler.
Ensuite, il créa une nouvelle technique de projections de visage sur les bustes de la maison hantée.
Et enfin, il mit au point le Circarama, sorte d’Hydre mécanique composée de plusieurs caméras permettant de filmer à 360 degrés les courts-métrages visibles dans la salle Circarama USA de Tomorrowland, la section de Disneyland présentant un futur utopique.
Les premières récompenses finirent par arriver quand en 1959, la société Xerox sortit le premier photocopieur produit en masse et utilisant le principe de la Xérographie 4.
Côté Disney, tout le monde se remettait du magnifique, mais complexe, «la Belle au bois dormant». Il faut dire qu’à cette période le studio travaillait encore selon la méthode traditionnelle.
Un animateur faisait un crayonné transmis à un «clean-up man» chargé de ne recopier que les lignes importantes sur un calque et de l’envoyer aux encreurs qui retraçaient les lignes sur cellulo5.
Cette méthode, vous l’aurez compris, état très longue et le recopiage par des humains, même les plus méticuleux, altérait les crayonnés et faisait donc perdre une partie de la spontanéité voulue par l’animateur.
En voyant le potentiel de l’imprimante Xerox pour l’animation, le studio Disney en fit l’acquisition mais après un essai sur un court-métrage, le département créatif se rendit compte que les lignes n’étaient pas très bien retranscrites en animation.
Mais une fois avec la Xerox entre les mains, Ub Iwerks commença à la modifier et réussit à l’adapter aux besoins de l’équipe qui put produire des cellulos conservant le dynamisme voulu par les animateurs tout en gagnant un temps précieux avec l’encrage.
Il faut dire que le futur bébé du studio était terrifiant. Les héros seraient au nombre de 101 et, comble de l’horreur, ils étaient couverts de taches qu’il aurait fallu encrer une par une à la main sans l’ingéniosité d’Iwerks.
Après «les 101 dalmatiens», les animateurs furent si heureux de voir leurs dessins prendre vie comme s’ils étaient encore au stade de crayonné que la majorité des films conservera volontairement cet effet «coup de crayon» jusqu’à l’arrivée des premiers procédés par ordinateur pour «la petite sirène» en 1989. Quant à Ub, il sera récompensé par un oscar pour ses travaux.
Peu de temps après, il s’associera avec les ingénieurs Wadsworth E. Pohl et Petro Vlahos pour perfectionner la technique du procédé au sodium (aussi connu sous le nom de fond jaune) pour Mary Poppins, un film contenant une séquence où des humains évolueront dans un monde en animation de manière encore plus fluide que dans «les 3 Caballeros».
Cette prouesse fit grand bruit dans le petit cercle du cinéma et impressionna Alfred Hitchcock qui contacta Ub pour l’engager comme consultant sur son nouveau film, «les oiseaux».
En effet, le réalisateur faisait face à un énorme problème. Sur le tournage, un fond bleu était utilisé.
Mais à cette époque, ce fond avait tendance à «baver» autour des sujets en formant un halo qui s’amplifiait avec les éléments fins comme les cheveux ou les plumes, tout l’inverse du fond jaune qui séparait proprement du décor tout les éléments du sujet, y compris les délicates dentelles du costume de Mary Poppins.
En 1964, le fond jaune vaudra à Ub Iwerks deux prix. L’Académie l’honorera d’une nomination des meilleurs effets visuels pour «les oiseaux» ainsi que d’un oscar pour «Mary Poppins», qu’il partagera avec Wadsworth E. Pohl et Petro Vlahos.
Malheureusement, personne n’est immortel.
En 1971, c’est le choc pour la famille d’Ub. Moins de quatre ans après la mort de son ami Walt, emporté par un cancer, l’ingénieur s’éteint à 70 ans des suites d’une crise cardiaque alors qu’il travaillait sur l’attraction «Hall of Presidents» de Disneyland.
Au cours de sa longue carrière, le nom d’Ub Iwerks apparait dans plus de 200 films et même après sa mort, son héritage continue de vivre à travers ses créations ainsi que ses descendants.
Son fils ainé, Donald «Don» Iwerks avait suivi ses traces dès les années 50 en temps que technicien chez Disney. Et lors de sa carrière, il fut récompensé par deux oscars.
Don transmettra aussi le virus du cinéma à sa fille Leslie Iwerks, réalisatrice de documentaires nominée aux oscars et toujours en activité dans le milieu.
C’est d’ailleurs grâce à Leslie qu’en 1999 la vie de son grand-père fut mise en lumière à travers le magnifique documentaire hommage «La main derrière la souris; l’histoire d’Ub Iwerks» qui fit connaitre au grand public l’homme sans qui Walter Elias Disney ne serait peut-être pas devenu le puissant parrain du divertissement moderne tel que nous le connaissons.
3Créature robotisée ou animée à distance par des câbles ou par radio-commande, réalisée en général avec une peau en latex.
4Technique permettant de reproduire des documents sans contact, en nombre illimité.
5Feuille transparente d’acétate de cellulose sur laquelle les éléments en mouvement d’un dessin animé sont peints. (sources Wikipédia)
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